Bâtir la confiance autour de l’utilisation des données de santé par une communication claire et transparente
Par Carole Jabet (Directrice scientifique du FRQS) et Cécile Petitgand (Conseillère spéciale aux données au FRQS)
Ce premier article, d’une série de trois, résume les réflexions sur la confiance et l’utilisation des données de santé provenant du colloque 14 du 89e Congrès de l’Acfas, ayant eu lieu le 10 mai 2022 et intitulé Bâtir l’acceptabilité sociale et citoyenne de l’accès et de l’utilisation des données de santé : un colloque en hommage à François Laviolette.
Permettre à la communauté de recherche d’avoir un meilleur accès aux données sur la santé de la population québécoise offre un univers de nouvelles possibilités pour améliorer la prévention, le diagnostic ainsi que le traitement de différentes maladies.
C’est notamment l’un des objectifs que poursuivait le projet de loi 19, intitulé Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives, déposé à l’Assemblée nationale le 3 décembre 2021.
Afin d’assurer une bonne compréhension de ce projet de loi et obtenir un consentement responsable et contrôlé de la part du public, certaines obligations doivent être remplies pour permettre une véritable acceptabilité sociale et dépasser les réticences au partage.
C’est d’ailleurs le legs que souhaitait offrir le regretté professeur François Laviolette, avant de nous quitter le 26 décembre dernier à l’âge de 59 ans. Voyant dans les données une source naturelle susceptible de contribuer à enrayer des maladies comme le cancer qui l’a emporté, François Laviolette en appelait à « un pacte social sain et serein sur notre richesse collective que représente la donnée, pour lequel il y aura confiance, transparence, littératie numérique suffisante et interprétabilité ».
La transparence pour passer de la méfiance à la confiance
Le vox pop organisé par le Fonds de recherche du Québec est évocateur des enjeux de l’acceptabilité sociale que renferme le partage des données sur la santé : nos concitoyennes et concitoyens sont ouverts à cette perspective, mais ils sont préoccupés par les risques que posent la sécurité de leurs données personnelles.
La propension de certains à donner plusieurs informations personnelles sur les médias sociaux tout en étant réticents à en faire de même à travers les institutions publiques peut paraître paradoxale. Or, elle illustre leurs préoccupations envers l’usage pouvant être fait de leurs données de santé.
Selon Eva Villalba, présidente de la Coalition Priorité Cancer au Québec,« un premier pas pour aider à rebâtir la confiance consiste à expliquer comment on entrepose les banques de données de santé et quelles sont les règles qui en assurent la sécurité et la confidentialité ».
Pour l’ex-maire de Rosemont–La Petite-Patrie et directeur principal d’Innovitech, François William Croteau, il importe d’être transparent quant aux bénéfices et aux risques. « Le risque zéro n’existe pas et il est inhérent à l’innovation : c’est pourquoi il faut expliquer comment on peut assurer la sécurité maximale des banques de données de santé ».
Faire prévaloir la transparence et mériter la confiance des gens constitue une part du travail de communication que doivent accomplir les chercheuses et les chercheurs eux-mêmes, en expliquant pourquoi ils ont besoin des données de santé et les bénéfices qu’ils souhaitent en faire émerger.
L’importance de donner un sens
Un sondage mené à l’automne auprès de 1 500 personnes par la firme Léger, avant le dépôt du projet de loi 19, révèle que « près de 80 % d’entre elles seraient d’accord avec l’idée de partager leurs données de santé dans l’intérêt collectif, à condition que leur identité soit préservée », fait remarquer Daniel J. Caron, titulaire de la Chaire de recherche en exploitation des ressources informationnelles à l’ÉNAP.
À ce chapitre, la présidente-directrice générale de CIRANO, Nathalie De Marcellis-Warin souligne que l’intégration graduelle de l’intelligence artificielle dans le traitement des données peut accentuer « la perception qu’on se dirige vers une médecine d’algorithme moins proche du patient. Mais il est possible d’expliquer, par exemple, que le rôle de l’IA peut améliorer le diagnostic des patients et mener à des traitements efficaces plus ciblés ».
Pour donner un sens, il est également important d’informer les gens de la teneur des recherches qui seront menées dans l’intérêt public, en illustrant de façon concrète les innovations que la science a permis jadis – et permettra demain – de rendre possible.
Engager le citoyen dans la démarche
Pour mieux comprendre les actions de valorisation des données, chaque personne doit être en mesure d’apprécier les bénéfices à la fois collectifs et personnels qui émanent du partage des données en santé. Et impliquer l’individu tout au long du processus de gouvernance est l’une des voies à privilégier.
Annabelle Cumyn, qui préside le comité d’éthique de la recherche au CIUSSS de l’Estrie, relate d’ailleurs « l’importance de groupes de discussion variés, ouverts aux approches créatives pour un consentement éclairé et réfutable ».
S’il y a un impact indéniable de l’engagement citoyen, « il faut aussi recruter une grande variété de participants aux différents groupes de travail, suggère Lyse Langlois, directrice générale de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA. De cette façon, on s’assure de ne pas oublier les différents pans de la société, en misant sur des multiplicateurs d’information à travers différents réseaux, dont les vulgarisateurs scientifiques ».
En somme, en matière de données de santé, les personnes expertes et participantes de tous les domaines devraient s’ouvrir à la co-construction et au dialogue avec la société civile. Ceci est garant de l’établissement d’une relation de confiance avec les citoyennes et les citoyens, bâtie en collaboration avec les communautés de recherche et les pouvoirs publics.
>> Lire le second article de notre série : Au-delà de l’acceptabilité sociale, ouvrir le dialogue pour favoriser la participation citoyenne au débat sur l’utilisation des données de santé
>> Lire le troisième article de notre série : Les voix de la relève étudiante : pour une communication moderne, engageante et d’égal à égal en matière de données