Les voix de la relève étudiante : pour une communication moderne, engageante et d’égal à égal en matière de données
Par Carole Jabet (Directrice scientifique du FRQS) et Cécile Petitgand (Conseillère spéciale aux données au FRQS)
Ce troisième article de notre série résume les réflexions sur la confiance et l’utilisation des données de santé provenant du colloque 14 du 89e Congrès de l’Acfas, ayant eu lieu le 10 mai 2022 et intitulé Bâtir l’acceptabilité sociale et citoyenne de l’accès et de l’utilisation des données de santé : un colloque en hommage à François Laviolette.
L’utilisation des données de santé interpelle tous les pans de la société, incluant la force montante que représente la relève étudiante qui veut faire entendre sa voix et prendre part aux décisions.
La nouvelle génération est directement interpellée par cet enjeu de société que renfermait le projet de Loi 19 sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives. Celui-ci a récemment été exclu du dernier menu législatif, mais il pourrait revoir le jour après la prochaine élection.
Adapter la communication et accompagner les publics ciblés
L’utilisation des données de santé suscite une certaine crainte au sein de la population au Québec et ailleurs. Cela est notamment dû au manque de transparence des milieux politiques et cliniques sur l’utilité du partage de ces données.
« En France, il y a déjà une méfiance culturelle vis-à-vis du gouvernement et des pouvoirs publics, et celle-ci est exacerbée par le rôle que pourraient jouer les entreprises privées dans le partage des données médicales, indique Maelenn Corfmat, candidate au doctorat au centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal. L’hésitation à donner son consentement est encore plus grande pour les personnes issues d’une communauté où la maladie est taboue ou source de honte ».
Pour sa part, Yan Bertrand, étudiant au doctorat à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, estime que l’acceptabilité sociale à cet égard constitue un défi de taille puisqu’on « a trop tendance à parler des risques, voire à les amplifier, plutôt que d’expliquer les bénéfices individuels et sociétaux que l’utilisation des données renferme pour l’avancement de la recherche en santé ».
Yan Bertrand souligne que, de manière générale, les personnes expertes mesurent souvent mal le niveau de compréhension des risques et bénéfices du point de vue des patientes et des patients.
Lorsque l’on parle de recherche sur les données, il est important d’adapter la communication et de faire preuve de pédagogie constamment. « Il y a un entraînement à faire, des sensibilités à travailler » selon Asma Bouikni, étudiante à la maîtrise en Neurosciences à l’Université de Montréal. Les personnes comprennent mieux la recherche lorsqu’elles participent activement tout au long du processus et qu’elles bénéficient d’un accompagnement personnalisé.
Miser sur davantage de culture scientifique
Partageant son expérience en tant qu’animatrice scientifique au Musée Armand-Frappier, Asma Bouikni témoigne du fait qu’il y a «beaucoup de méconnaissance et d’incompréhension quant à la façon dont un projet de recherche est mené en général, et au travail qu’accomplit la communauté étudiante des cycles supérieurs».
Il y a là une piste à explorer qui permettrait d’éduquer les gens en amont, selon Samuel Vaillancourt, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec. « On devrait exposer davantage les étudiants et étudiantes du collégial et du secondaire à la recherche et aux chercheurs, soutient-il. Les activités de recherche ne manquent pas mais elles sont peu visibles ».
« Les scientifiques doivent aussi se rendre plus visibles en s’exposant davantage devant les étudiants du collégial et du secondaire, ajoute Asma Bouikni. Parce qu’après le secondaire, on oublie les notions scientifiques à moins de poursuivre ses études : il faut susciter l’intérêt pour les sciences par des expositions, par l’art, bref par une communication efficace et intéressante ».
D’autres pistes ont été évoquées pour développer la culture scientifique. Il faut ainsi miser, selon la relève étudiante, sur la diversité des activités de mobilisation des connaissances promues sur une pluralité de plateformes (p.ex. médias sociaux, sites web, articles grand public) pour atteindre une diversité de personnes. Il faut également profiter des réseaux de partage, notamment ceux de la relève étudiante, qui sont des multiplicateurs d’information.
Bâtir une relation d’égal à égal
La relève étudiante est prête à participer de plain-pied à la discussion entourant les bénéfices individuels et collectifs que pourrait permettre le partage des données en santé.
Cependant, Yan Bertrand rapporte qu’il existe un déséquilibre des forces entre la relève et les scientifiques, malgré les discours valorisant la diversification des équipes, la multidisciplinarité et la transdisciplinarité.
« Nous sommes rarement considérés comme des égaux et c’est la même chose pour les patients-partenaires, soutient-il. Nous ne voulons pas être impliqués dans des comités pour se faire expliquer des choses. Nous voulons participer, apprendre et faire partie du changement de culture ».
Ces comités doivent d’ailleurs veiller à créer un climat d’équité et d’inclusion, au sein duquel les personnes de la relève sont des membres à part entière et où elles ne sont pas traitées avec condescendance.
Finalement, l’idée de créer un grand chantier de production de contenus scientifiques, adaptés et engageants pour le public, ainsi que des activités culturelles sur la recherche et les données, fait son chemin dans nos institutions éducatives. Ceci permettrait d’établir un véritable dialogue où les voix citoyennes, jeunes et moins jeunes, seraient prises en considération et intégrées aux discussions et prises de décisions.
>> Lire le premier article de notre série : Bâtir la confiance autour de l’utilisation des données de santé par une communication claire et transparente
>> Lire le second article de notre série : Au-delà de l’acceptabilité sociale, ouvrir le dialogue pour favoriser la participation citoyenne au débat sur l’utilisation des données de santé