Et si les inégalités sociales se manifestaient jusque sur l’oreiller? C’est la conclusion vers laquelle pointent les travaux de recherche de Guido Simonelli.

Dis-moi où tu vis, et je te dirai comment tu dors. L’environnement physique et social a en effet une influence majeure sur le sommeil. Cette réalité est pourtant bien peu prise en compte par le personnel de santé, qui a une vision clinique des diverses dimensions (durée, qualité, etc.)
de cet indicateur clé de l’état de bien-être général. Résultat : les interventions pour traiter les insomnies, apnées et autres dérèglements du rythme circadien sont basées sur des approches individuelles plutôt que sur des interventions plus structurantes.
C’est à cet angle mort que s’attaque Guido Simonelli, professeur au Département de médecine de l’Université de Montréal, alors qu’on estime que près de 50 % de la population canadienne souffre aujourd’hui d’un trouble du sommeil. « Vivre dans un milieu moins avantagé du point de vue socio-économique a une incidence énorme sur le sommeil. Il en va de même pour l’environnement à l’intérieur de la maisonnée, qui est influencé par la température, la pollution sonore, mais aussi la présence de violence », explique celui qui a reçu le prix Roger-Broughton pour jeune chercheur en 2021. Décernée tous les deux ans par la Société canadienne du sommeil, cette récompense est accordée à des scientifiques en début de carrière dont les travaux ont fait avancer la recherche
sur le sommeil.

LOIN DU LABORATOIRE
Guido Simonelli a suivi avec succès une formation pour devenir médecin en Argentine. Pendant ses études, il travaille comme technicien dans une clinique du sommeil. Il réalise alors des polysomnographies, des examens médicaux considérés comme la méthode de référence en matière de recherche sur le sommeil. Une expérience qui sera déterminante pour la suite de sa carrière. « C’est là que j’ai compris à quel point le sommeil, ou plutôt l’absence de sommeil, peut être problématique et ruiner des vies, raconte-t-il. Je peux le confirmer aujourd’hui : je suis nouvellement papa! »
Au cours de cette expérience de travail, le scientifique prend conscience du chemin qu’il reste à faire afin de rendre la recherche sur le sommeil plus conforme à ce qui se passe dans la « vraie vie » ; les nuits passées dans une clinique spécialisée ne lui semblent pas fidèles à la réalité. L’avènement des appareils de mesure et de suivi de l’activité physique de style Fitbit représente en ce sens « une formidable occasion à saisir ». « Ils pourraient permettre d’améliorer la validité des résultats de nos études. Les gens ne dorment jamais mieux que chez eux, dans un cadre et un contexte qui leur sont familiers », affirme Guido Simonelli. Ce souci de s’éloigner du laboratoire transparaît dès ses premières publications scientifiques. Le chercheur constate ainsi que le fait d’améliorer l’environnement, au sens large, dans des bidonvilles de la capitale argentine Buenos Aires, a pour effet d’améliorer le sommeil des ménages qui y vivent. Dans une recherche subséquente réalisée encore une fois en Argentine, il établit que le sentiment de sécurité à la maison a une incidence importante sur le sommeil, et ce, particulièrement chez les femmes. « Dormir est l’opposé d’être en état d’alerte. S’il y a une menace qui plane, réelle ou non, il est tout à fait normal de ne pas tomber facilement dans les bras de Morphée ni d’y rester », analyse-t-il.

ÉCLECTIQUE
Plus récemment, le chercheur s’est intéressé à des populations pour qui le sommeil est un enjeu crucial, comme les militaires, les habitants et habitantes de bases arctiques et antarctiques, et même le personnel soignant de première ligne au cœur de la pandémie de COVID-19. Son but : trouver des solutions pour que leur repos soit le moins perturbé possible. « Chez les militaires, dormir peu est associé à une plus forte prédisposition à développer un syndrome de stress post-traumatique à la suite d’un choc émotionnel, indique-t-il. On peut inférer la même chose dans d’autres contextes, comme celui des changements climatiques, où les catastrophes environnementales sont appelées à se multiplier. »
Guido Simonelli sait manifestement naviguer en dehors de son premier champ d’expertise, la médecine. C’est cette capacité à « sortir le sommeil de son carcan » qui a séduit une de ses proches collaboratrices, Julie Carrier, professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal, dès leur première rencontre, lors d’un congrès. « Il s’attarde à des aspects longtemps négligés par une science qui s’est en grande partie développée dans des pays riches, dans une optique clinique », observe-t-elle.
Son approche n’est pas juste originale; elle est nécessaire, estime-t-elle. « Nous ne sommes pas tous égaux devant les troubles du sommeil. »

Les questions de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

R.Q : Il paraît que l’on dort mieux à des températures plus fraîches. Est-ce cette raison qui vous a poussé à poursuivre votre carrière au Québec ?
Bien que j’aime beaucoup la forte saisonnalité de Montréal, les raisons de poursuivre mon parcours universitaire au Québec étaient encore plus égoïstes ! En tant que jeune chercheur, le Québec m’offrait un environnement scientifique dynamique unique ancré dans le solide soutien financier des Fonds de recherche du Québec. Sur le plan professionnel, la possibilité de travailler au plus grand centre de recherche sur le sommeil au Canada, c’est-à-dire le Centre d’études avancées en médecine du sommeil, avec l’appui du centre de recherche du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’île-de-Montréal et de l’Université de Montréal, a pesé fort dans la balance. Pour ma famille, il était important de s’installer dans une grande ville, et Montréal répondait aux qualités que nous recherchions.

R.Q : L’exploitation des dispositifs personnels, tels que les montres intelligentes, soulève la question de l’accès aux données. Pensez-vous qu’un accès plus large pourrait être bénéfique à vos recherches ?

Cela peut être très bénéfique. Malheureusement, l’expansion rapide de l’utilisation des montres intelligentes pour suivre le sommeil a pris au dépourvu le monde de la recherche sur le sommeil; nous travaillons à trouver des moyens de les intégrer. Le principal problème lié à l’utilisation des données obtenues à l’aide de montres intelligentes commerciales est que bon nombre de ces appareils ne sont pas transparents quant à leurs algorithmes pour suivre le sommeil, ce qui ne permet pas de dire avec certitude ce qu’ils mesurent et rapportent ultimement. Un grand nombre de ces appareils ne permettent pas d’accéder aux données brutes, telles que les mouvements ou la fréquence cardiaque, qui sont les variables normalement utilisées pour déduire qu’une personne dort.
En parallèle, nous essayons de comprendre comment les informations de suivi du sommeil d’un individu peuvent être exploitées pour fournir des avantages pour sa santé ou sa performance. Peu à peu, on voit émerger des collaborations entre les universitaires et les entreprises privées, et ce sera peut-être une clé pour faire progresser le domaine.

Cette entrevue est parue dans Québec Science, un magazine scientifique pour le grand public.